Aristote, l’un des premiers auteurs à s’intéresser à la question du théâtre, a écrit dans son œuvre la Poétique datant du IVe s. a. n. è., que l’on ne sait rien de la réelle naissance du théâtre : « qui a apporté masque, prologue, nombre des acteurs et tous détails de ce genre, on l’ignore » (Aristote, Poétique, 5, 1449b). Il insiste effectivement sur le fait qu’il existe en Grèce une évolution du critère formel des textes considérés comme dramatiques, mais il ne s’attarde pas sur la question de l’origine du ou des éventuel(s) enjeu(s) scénique(s) de ces derniers. Cette incapacité, voire même ce refus qu’a le philosophe grec de résoudre la problématique que pose l’émergence du jeu de scène, met déjà en évidence un biais dans son raisonnement. En effet, en négligeant les aspects directement et presque uniquement liés aux textes de théâtre et donc à ce fameux jeu de scène, tels que la mention de personnages, les didascalies ou le caractère des répliques qui seront, comme nous le montrerons, déjà présents bien plus tôt dans le monde antique, Aristote évite de faire du théâtre une création « étrangère » et renforce ainsi sa réflexion autour de la suprématie du peuple grec.

Notre questionnement initial sera donc le suivant : où trouve-t-on les premières traces d’un jeu scénique ? Connaissant, en effet, les possibles contacts qui existaient entre les peuples du bassin méditerranéen, est-il possible que le théâtre n’ait pas été, au départ du moins, pensé par les Grecs ?

Plusieurs égyptologues se sont posés cette question, lorsqu’ils ont découvert, près d’Edfou, des traces, à la fois littéraires et épigraphiques, d’un possible premier théâtre. Notre analyse, basée sur l’étude de quelques-unes de ces sources, tentera donc de déterminer s’il y a pu avoir, à un moment donné, un transfert culturel en lien avec le théâtre entre l’Égypte et la Grèce et, le cas échéant, à spécifier les éléments liés à la scène que les Grecs auraient pu emprunter aux Égyptiens. Enfin, de manière plus générale, elle (re)posera également la question de la définition du théâtre pendant l’Antiquité, et plus précisément encore celle du jeu scénique.

AUDE LOVEY (Université de Lausanne, Histoire Ancienne)